Anselm Kiefer: Barjac comme un Jardin-Atelier de monde


Mehdi Sharafi

Résumé

        Anselm Keifer est un artiste-peintre majeur Ă  partir des annĂ©es quatre-vingts en Allemagne. Il considĂšre l’histoire comme un matĂ©riau artistique. Son travail est une confrontation avec l’oubli historique dans les heures les plus sombres de l’histoire. Il est peintre du paysage, les Ɠuvres les plus proĂ©minentes de Kiefer sont sans doute ses paysages extraordinaires et fascinants. Et de fait, c’est avec ces paysages que se noue sa relation profonde avec la terre, l’histoire et la nature. Et au cƓur de l’espace pictural, il s’est particuliĂšrement impliquĂ© dans la crĂ©ation d’élĂ©ments de la nature.

Dans les peintures de Kiefer, les espaces de travail se transforment en un Ă©norme contexte au sein duquel se dĂ©roulent de nombreux Ă©vĂ©nements. Les ateliers de Kiefer ressemblent plus Ă  des laboratoires oĂč il se lance dans des essais et erreurs et expĂ©rimente avec divers matĂ©riaux.

Le jardin-atelier de Barjac dans le sud de la France est un des principaux espaces de travail de Kiefer. L’usine de soie abandonnĂ©e, est non seulement transformĂ©e en un immense atelier par Kiefer, mais l’usine et l’espace naturel qui l’entoure aprĂšs toutes ces annĂ©es, la quantitĂ© Ă©norme de travail effectuĂ©e par Kiefer sont devenus une grande Ɠuvre d’art et bien sĂ»r l’un des espaces les plus cĂ©lĂšbres au monde en son genre.

Au cours de ces annĂ©es, le Jardin-atelier de Barjac a Ă©tĂ© crĂ©Ă©, Ă©tape par Ă©tape et section par section. Dans le Barjac, la nature vient Ă  l’aide de structures, de tunnels et de bĂątiments et bien sĂ»r aux peintures de Kiefer, lui permettant ainsi de prĂ©senter sa vision du monde en tant qu’artiste contemporain.

Dans cette lecture, nous souhaitons explorer le parcours de Kiefer jusqu’à son arrivĂ©e Ă  Barjac et comment il a finalement eu l’idĂ©e de crĂ©er un immense jardin-atelier au cƓur de l’espace de Barjac. La problĂ©matique de la crĂ©ation d’un atelier par un artiste-peintre au sein d’un jardin avec de si grandes dimensions, ainsi que les rĂ©alisations dĂ©coulant de cette exploration par un artiste contemporain Ă  notre Ă©poque, sont les principaux objets de cette recherche.

           « La mĂ©moire, le souvenir d’un paysage, est un Ă©vĂ©nement pour tous nos sens. »[1] Anselm Kiefer

   

Mots clĂ©s : Anselm Kiefer, Artiste-peintre, Atelier, Peinture contemporaine, Nature, Jardin, paysage, Barjac

Anselm Kiefer : Barjac comme un Jardin-Atelier de monde

          Anselm Kiefer est un peintre-artiste contemporain allemand, nĂ© en 1945, l’annĂ©e oĂč la Seconde Guerre mondiale prend fin, Ă  Donaueschingen en Allemagne. Sa naissance Ă  cette Ă©poque a eu une grande influence sur sa maniĂšre de travailler et les concepts qu’il choisissait pour ses Ɠuvres. Les divers sujets abordĂ©s sur le chemin artistique et leur progrĂšs sont de plus en plus diversifiĂ©s et abondants.

L’ensemble des Ɠuvres de Kiefer est trĂšs variĂ© et s’étend dans divers domaines artistiques : peinture, photographie, sculpture et installations qui prennent l’allure de grandes structures architecturales. Souvent, ses Ɠuvres se mettent ensemble et crĂ©ent de nouveaux espaces. Le plus unique de ces espaces et l’interaction de ces diffĂ©rents mĂ©diums artistiques peuvent ĂȘtre vus dans ses immenses ateliers.

Kiefer a profitĂ© de chaque occasion pour mener Ă  bien et faire progresser son travail artistique. C’est un chemin oĂč il habite depuis toujours, et en effet, on peut dire que durant toutes ces annĂ©es, il a eu une vie commune avec son art et son travail. Les Ɠuvres les plus proĂ©minentes de Kiefer sont sans doute ses paysages extraordinaires et fascinants. Et de fait, c’est avec ces paysages que se noue sa relation profonde avec la terre, l’histoire et la nature. On dirait que ces paysages contiennent une grande force spirituelle, voire qu’ils remettent en question cette force. Ces Ɠuvres ont leur origine dans l’histoire de l’art et sont, en mĂȘme temps, des Ă©lĂ©gies qui sortent des Ă©vĂ©nements historiques, de la cendre de la guerre.

Kiefer traite intelligemment l’énorme diversitĂ© et pluralisme; comme si derriĂšre le peintre qu’il est, il y avait un archĂ©ologue, un spĂ©cialiste de laboratoire et un chercheur sensible aux moindres dĂ©tails. Durant toutes ces annĂ©es et Ă  chaque pĂ©riode de la carriĂšre artistique de Kiefer, les Ɠuvres qu’il a crĂ©Ă©es et les concepts avancĂ©s ont Ă©tĂ© fortement influencĂ©s par l’espace dans lequel il Ă©tait engagĂ©, y compris son Atelier. En fait, on peut dire que l’atmosphĂšre de l’atelier et l’identitĂ© que celui-ci attribue Ă  Kiefer en tant qu’artiste ont grandement contribuĂ© Ă  l’avancement de ses idĂ©es et de ses prĂ©occupations dans son travail.

L’un des ateliers les plus importants et uniques de Kiefer est Barjac, un atelier de renommĂ©e mondiale considĂ©rĂ© comme l’un des ateliers d’artistes contemporains les plus cĂ©lĂšbres au monde. Aujourd’hui, Barjac est devenu lui-mĂȘme une grande Ɠuvre d’art au cƓur de la nature.

Pour gagner l’atelier de Kiefer on doit traverser le village de Barjac et, aprĂšs ĂȘtre passĂ© par des collines et des pics, on arrive Ă  la perspective captivante de Kiefer. Il est unique qu’au cours d’un long processus de travail, Kiefer essaie de transformer une usine industrielle abandonnĂ©e du village de Barjac en un micro-univers. En fait, Barjac est le point oĂč un peintre contemporain dĂ©cide de dĂ©velopper ses prĂ©occupations en dehors de l’espace pictural. À Barjac, nous pouvons explorer le monde de Kiefer, le mĂȘme monde qu’il explore dans ses peintures, mais cette fois Ă  travers une variĂ©tĂ© de formes artistiques au cƓur de la nature. Barjac reprĂ©sente un espace de transfert-allĂ©gorique, oĂč diffĂ©rentes expressions artistiques se fondent au sein de la nature. Il est conçu et dĂ©veloppĂ© comme une allĂ©gorie de la terre.

Nous sommes confrontĂ©s Ă  une Ă©norme quantitĂ© de travail Ă  Barjac, allant des peintures aux sculptures, en passant par les installations et structures variĂ©es au sein de la nature. En tant que peintre de paysage, Kiefer explore diverses approches de travail dans ses tableaux. À Barjac, il s’efforce d’intĂ©grer diffĂ©rents mĂ©diums artistiques pour nous offrir une perspective novatrice de l’artiste contemporain.

Les Ɠuvres de Kiefer sont crĂ©Ă©es dans un espace de travail complexe Ă  plusieurs niveaux comportant de nombreux dĂ©tails. Des espaces qui, tout en Ă©tant nouveaux et diffĂ©rents des studios conventionnels, sont enracinĂ©s dans le passĂ©. Les Ɠuvres de Kiefer rassemblent diffĂ©rentes couches. À mon point de vue, cette poĂ©ticitĂ© rustre et tordue, son immense et ancien acquis historique et culturel, les dĂ©tails extraordinaires, sa maĂźtrise sans pareil de sa mĂ©thode de travail et des outils dont il se sert, font de lui un artiste unique et louable. Il est le poĂšte de la terre, ses Ɠuvres sont l’essence de l’ĂȘtre, sortie du dessous des ruines et des talus de sol. Elles me passionnent et m’incitent Ă  fouiller l’intĂ©rieur, le passĂ©, l’histoire. Le travail de Kiefer reprĂ©sente une nouvelle exploration de l’espace pictural et d’un mĂ©dium traditionnel Ă  l’époque contemporaine.

Le parcours artistique de Kiefer comporte de nombreux dĂ©tails Ă  explorer. Cependant, la question principale qui sera explorĂ©e au cƓur de cette recherche concerne les ateliers de Kiefer et leur rĂŽle dans l’élaboration de ses Ɠuvres, en particulier celui du jardin-atelier Barjac.

Tout au long de son parcours artistique, Kiefer a toujours mis l’accent sur le rĂŽle de l’atelier dans l’avancement et le dĂ©veloppement de son travail, tant en peinture que dans d’autres mĂ©diums artistiques. Cette importance et cette attention ont-elles jouĂ© un rĂŽle dans le dĂ©veloppement de son travail en tant que peintre-artiste contemporain? Et comment Ă©valuer l’impact de cette approche dans le travail de Kiefer?

Les ateliers de Kiefer ressemblent plus Ă  des laboratoires oĂč il se lance dans des essais et erreurs et expĂ©rimente avec divers matĂ©riaux. Il exploite les grands espaces de ses ateliers pour mettre en Ɠuvre ses idĂ©es extraordinaires. Afin de pouvoir intĂ©grer toute cette matiĂšre autour du noyau central, l’espace de travail et le contexte dans lequel il envisage d’avancer prennent une importance particuliĂšre. Un problĂšme auquel Kiefer a prĂȘtĂ© attention avec la sensibilitĂ© requise dĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre artistique. Le fait qu’il ait enfin l’idĂ©e de crĂ©er un immense jardin-atelier de Barjac au cƓur de l’espace de Barjac. Une grande partie des peintures de Kiefer sont des peintures de paysages. Quel a Ă©tĂ© l’impact mutuel de Barjac en tant qu’atelier de jardin et des peintures de Kiefer?

Dans le Barjac, nous sommes confrontĂ©s Ă  une quantitĂ© Ă©norme d’Ɠuvres en dehors de l’espace pictural. Quand nous disons aujourd’hui que la tour elle-mĂȘme est devenue une grande Ɠuvre d’art au sein de la nature, de quel type de lien entre l’art en tant qu’une maniĂšre d’expression humaine et la nature faisons-nous rĂ©fĂ©rence?

Ce sont ces problĂšmes et ces questions qui seront abordĂ©s dans cette recherche Ă©tape par Ă©tape et au cƓur de l’avancement des travaux au sein de l’Atelier Kiefer.

Atelier de « WalldĂŒrn-Hornbach »

Pour mettre en lumiĂšre l’influence des ateliers de Kiefer sur son parcours, avant d’examiner Barjac, on peut Ă©voquer l’impact initial que son atelier a eu sur ses premiĂšres Ɠuvres artistiques. Cela permettrait de mieux comprendre l’empreinte que son travail a laissĂ©e dans son atelier.

DĂšs les premiĂšres annĂ©es, Ă  savoir en 1973, Kiefer installe son atelier dans le grenier d’une ancienne Ă©cole de WalldĂŒrn-Hornbach dans l’Odenwald. Cet atelier a jouĂ© un rĂŽle majeur dans les sĂ©ries d’Ɠuvres crĂ©Ă©es par Kiefer au cours de ces annĂ©es. Les photos que Kiefer a enregistrĂ©es Ă  partir de l’espace de l’atelier montrent Ă  quel point la reprĂ©sentation de cet espace est Ă©vidente dans les peintures de cette pĂ©riode.

Resurrexit, 1973, huile, acrylique et fusain sur toile de jute. Photo par l’auteur. Exposition d’Anselm Kiefer au Centre Pompidou, Paris. 2015-2016


L’un des Ɠuvres les plus cĂ©lĂšbres de cette pĂ©riode de travail de Kiefer, qui est une compilation de son atelier et de l’espace extĂ©rieur, ainsi que des prĂ©occupations et des concepts qui y ont Ă©tĂ© mĂȘlĂ©s s’appelle « Resurrexit Â». La palette de couleurs et la technique utilisĂ©es pour crĂ©er cette Ɠuvre s’inscrivent dans la tradition picturale allemande. Dans cette Ɠuvre, il y a un bois encadrĂ© et inhabituel qui relie l’espace intĂ©rieur d’atelier de Kiefer Ă  l’escalier des marches, l’espace extĂ©rieur est attachĂ© Ă  la partie infĂ©rieure, et on est Ă©galement confrontĂ© Ă  un paysage, un mĂ©lange de reprĂ©sentations et d’élĂ©ments subjectifs. « La toile figure un long chemin tapissĂ© de branches et de feuilles mortes qui circule entre les arbres secs et sans feuilles, raides de verticalitĂ©, menant au loin vers un improbable horizon – rĂ©demption ?»[[2]En fait, Kiefer a tentĂ© de reprĂ©senter ses prĂ©occupations historico-allĂ©goriques dans le contexte d’un espace familier. Le serpent s’ouvre un chemin et se dirige vers cet espace cĂ©leste qui a la forme d’un cĂŽne renversĂ©. Et de cette façon, il transmet les regards du bas du tableau vers le centre et au- dessus. C’est un transfert temps-espace entre les deux sections de l’Ɠuvre, les vues passent Ă  travers cette perspective et atteignent la section des escaliers, la transition du bas vers le haut crĂ©e Ă©galement un dĂ©calage dans le temps : la forme du serpent au bas de la boĂźte d’énergie du stimulus est l’élĂ©ment principal de cette transition temps-espace dans ce tableau.       

« Dans cette construction singuliĂšre, l’artiste reprend dans la partie supĂ©rieure la forme gĂ©omĂ©trique du cĂŽne et indique l’escalier en bois menant au grenier oĂč se trouve son atelier. Cette peinture marque le passage d’un espace Ă  l’autre – celui de la nature et celui de la crĂ©ation artistique – clairement symbolisĂ© par la porte d’entrĂ©e en haut de l’escalier et de la composition. Au-delĂ  de cette porte. »[3]

Il s’appuie ainsi sur le principe de l’atelier pivot et de l’identitĂ© du lieu oĂč et quand il fait et avance son travail, crĂ©ant des Ɠuvres qui lui apportent de nouvelles rĂ©alisations d’un point de vue esthĂ©tique et conceptuel.

Pour DaniĂšle Cohn : « […] L’atelier en protĂšge l’artiste. Il en protĂšge Ă©galement le tableau qui y est Ă  l’abri. Ce qui fait de l’atelier d’artiste un lieu, au sens plein du terme, tient aux relations d’espace qu’il invente et qui transforment l’expĂ©rience sensible des formes que sont les Ɠuvres. » [4] En fait, l’art et le travail accomplis lors de son dĂ©veloppement jouent le rĂŽle central ; tous les autres Ă©lĂ©ments et dĂ©tails de sa vie suivent son rythme. Kiefer considĂšre ce grenier comme un refuge qui l’aide. Dans les peintures de Kiefer, cet espace de travail se transforme en un Ă©norme contexte au sein duquel se dĂ©roulent de nombreux Ă©vĂ©nements. Ainsi, les mythes et les Ă©lĂ©ments symboliques s’attachent Ă  l’histoire contemporaine et aux prĂ©occupations de Kiefer et leur poursuite mĂšne au grenier et crĂ©e diffĂ©rents rĂ©cits au cƓur de cet espace.

Émigration en France : Barjac et Croissy

Plus on passe du temps Ă  contempler le travail de Kiefer, plus on prend conscience de l’importance du lieu de travail dans l’avancement de ses peintures et de ses projets artistiques. Kiefer, qui Ă©tait Ă  la recherche de nouvelles expĂ©riences, Ă©migra en France en 1992 et, pendant toutes les annĂ©es suivantes, et malgrĂ© de brĂšves pĂ©riodes de recherche de nouvelles dĂ©couvertes et de voyages, la plupart de ses Ɠuvres sont crĂ©Ă©es en France.[5] Parmi les propos de Kiefer sur les raisons de son dĂ©part d’Allemagne, deux points sont plus importants que les autres. D’abord, il faut changer l’espace et le lieu de travail pour crĂ©er un nouvel Ă©tat d’esprit et de nouvelles idĂ©es. En effet, Kiefer souligne qu’il existe une relation directe entre le lieu de travail et la formation d’idĂ©es et l’avancement du projet. Dans la maniĂšre du travail de Kiefer, l’interaction entre le lieu de travail et les Ɠuvres crĂ©Ă©es est assez tangible, et bien sĂ»r, cela s’applique Ă  d’autres artistes. L’endroit peut avoir des effets et des rĂ©alisations trĂšs diffĂ©rents sur votre travail. Peut-ĂȘtre l’expression la plus convenable pour dĂ©crire cela est la « dialectique du lieu-l’artiste ». BasĂ© sur une telle approche, l’impact que l’artiste et son espace de travail ont l’un sur l’autre est mutuel, et aussi le rĂŽle de cette influence dans les Ɠuvres de l’artiste est indĂ©niable. L’artiste peut envisager diverses idĂ©es pour l’élaboration de son Ɠuvre en fonction de l’ambiance que lui procure son espace de travail, et l’espace de travail lui-mĂȘme peut adopter une identitĂ© changeante en fonction de la dĂ©marche et du travail de l’artiste. En fin de compte, cette interaction peut conduire Ă  l’émergence de nouvelles perspectives et Ă  la rĂ©alisation de diffĂ©rentes Ɠuvres artistiques.

L’espace intĂ©reur de l’atelier de Croissy-Beaubourg d’Anselm Kiefer. Prises du livre COHN, DaniĂšle. 2012. Anselm Kiefer : Ateliers. Éditions du Regard, 283

Le deuxiĂšme point, que Kiefer appelle l’une des principales raisons de son immigration, est d’atteindre diffĂ©rents matĂ©riaux pour faire avancer ses idĂ©es et donc la formation de nouvelles maniĂšres de travail basĂ©es sur ces matĂ©riaux. En continuant d’examiner le chemin d’activitĂ© artistique de Kiefer, on trouve que, dans le mĂȘme ensemble de peintures qu’il a crĂ©Ă©es, il est capable de travailler avec diffĂ©rents matĂ©riaux et mĂ©thodes pour dĂ©velopper la peinture en tant que mĂ©dia pictural dynamique Ă  l’époque contemporaine.

Kiefer a deux grands ateliers en France, dans deux diffĂ©rentes rĂ©gions, chacun d’entre eux ayant Ă©tĂ© conçu dans un lieu distinct avec des formes, des agencements et des fonctions diffĂ©rentes. L’un de ces ateliers est situĂ© dans la banlieue est de Paris, Ă  Croissy-Beaubourg et l’autre dans le sud de la France et prĂšs de la commune de Barjac.

« Les deux ateliers conçus et habitĂ©s par Kiefer sur le sol français, Ă  Barjac d’abord puis Ă  Paris et Croissy, peuvent s’interprĂ©ter comme des « ateliers-mondes », des microcosmes du grand macrocosme qu’est l’Univers. En ce sens, je pourrais avancer l’idĂ©e selon laquelle Kiefer vit dans, et rĂ©active, ce que Michel Foucault avait appelĂ©, dans Les Mots et les Choses, l’épistĂ©mĂš de « l’universelle analogie », qui prĂ©cĂšde celle de « l’Âge classique. »[6]

À travers la construction et le dĂ©veloppement de ses ateliers, Kiefer a essayĂ© de prĂ©senter de maniĂšre gigantesque son idĂ©e fondamentale de l’art, ses grands ateliers ses adaptations du monde reprĂ©sentant Ă©galement sa vision du monde. L’atmosphĂšre et la perception de l’ensemble des Ɠuvres de Kiefer sont transmises au spectateur, comme on peut le voir dans leurs Ă©lĂ©ments constitutifs. Nous observons une cohĂ©rence et une configuration de l’ensemble, l’élĂ©ment gĂ©nĂ©ral qui crĂ©e le monde de Kiefer, un monde qu’il crĂ©e avec ses mains.

La perspective de l’atelier de Barjac d’Anselm Kiefer. Prises du livre COHN, Daniùle. 2012. Anselm Kiefer : Ateliers. Éditions du Regard, 68

Chacun de ces deux ateliers prĂ©sente des significations diffĂ©rentes et variĂ©es, et Kiefer a dĂ©veloppĂ© une variĂ©tĂ© d’idĂ©es diffĂ©rentes dans leur cƓur, comme si c’étaient deux sens et deux rĂ©actions diffĂ©rentes de Kiefer. L’un est un peu propice au murmure et plus intĂ©rieur, l’autre est lĂ©gĂšrement hurlant et un peu extĂ©rieur.

« Croissy est un espace Ă  rĂ©inventer par chacun, qui peut s’en emparer Ă  sa maniĂšre, selon ses codes culturels, son Ăąge, ses postures corporelles, son rapport intime Ă  l’art et Ă  la culture. Revenir sur ses pas, se perdre, contempler, se questionner : Croissy invite Ă  une aventure du corps et de l’esprit. Davantage encore : Ă  une exploration du cerveau de l’artiste. Â»[7]

L’atelier de Croissy est situĂ© dans la banlieue est de Paris et Ă  cĂŽtĂ© de l’AĂ©rodrome de Lognes – Émerainville. Si vous y allez par curiositĂ©, Ă  l’extĂ©rieur vous serez confrontĂ© Ă  cet immense atelier, et en tant qu’un public externe et passant, il n’y aura pas grand-chose Ă  voir, Ă  part quelques rĂ©pliques d’avion et les petites installations de plantes et de fleurs aux graines de tournesol. La plupart des Ă©vĂ©nements se dĂ©roulent Ă  l’intĂ©rieur de l’atelier et derriĂšre les murs : un murmure et une fouille de l’intĂ©rieur.

Jardin-atelier de Barjac

La perspective de l’atelier de Barjac d’Anselm Kiefer, Prises du livre COHN, Daniùle. 2012. Anselm Kiefer : Ateliers. Éditions du Regard, 68

L’atelier de Barjac est quelque peu diffĂ©rent. Contrairement Ă  Croissy, l’accĂšs initial Ă  Barjac est trĂšs complexe et difficile, c’est un endroit Ă©loignĂ© pour lequel arriver auquel vous devrez vous faire guider pour arriver. En y arrivant, et face Ă  l’atelier de Kiefer, tout s’avĂšre diffĂ©rent. Pour gagner l’atelier de Kiefer on doit traverser le village de Barjac et, aprĂšs ĂȘtre passĂ© par des collines et des pics, on arrive Ă  la perspective captivante de Kiefer. Il est unique qu’au cours d’un long processus de travail, Kiefer essaie de transformer une usine industrielle abandonnĂ©e du village de Barjac en un micro-univers. L’usine de soie abandonnĂ©e, dĂ©laissĂ©e d’une pĂ©riode de croissance et dĂ©veloppement industriel au cƓur du modernisme, est non seulement transformĂ©e en un atelier grotesque par Kiefer, mais l’usine et l’espace naturel qui l’entoure aprĂšs toutes ces annĂ©es, la quantitĂ© Ă©norme de travail effectuĂ©e par Kiefer sont devenus une grande Ɠuvre d’art et bien sĂ»r l’un des espaces les plus cĂ©lĂšbres au monde en son genre. « Barjac est un site industriel autant qu’organique, le moderne et l’archaĂŻque s’y nouent sans cesse, Kiefer comparant volontiers son atelier Ă  une raffinerie ou Ă  une ruine. Â»[8] Barjac comprend plusieurs composants, notamment :« [
] des maisons, un amphithĂ©Ăątre, une immense crypte, un long passage qui ressemble Ă  l’intĂ©rieur d’une pyramide, des espaces destinĂ©s Ă  abriter des Ɠuvres isolĂ©es, des serres et un ensemble de tours en bĂ©ton armĂ©. Â»[9] On est confrontĂ© Ă  une vaste exploration, une exploration des idĂ©es, des dĂ©sirs et des caprices d’un peintre, un peintre contemporain qui Ă  travers le contexte de sa possession, a menĂ© ses prĂ©occupations et ses explorations dans les contextes plastiques et crĂ©e plusieurs Ɠuvres dans diffĂ©rentes branches d’arts visuels et expose dans l’atmosphĂšre de Barjac, une perspective Ă©norme.

Les espaces intĂ©reurs de l’atelier de Barjac d’Anselm Kiefer. Prises du livre COHN, DaniĂšle. 2012. Anselm Kiefer : Ateliers. Éditions du Regard, 215,199,91

Si on connaĂźt les sujets et les idĂ©es de Kiefer et qu’on suit le chemin qu’il a parcouru aprĂšs cette phase de transition, on pourra mieux confirmer ce succĂšs dans la poursuite de cette quĂȘte fondamentale de Kiefer dans son exploration. Il l’explique ainsi :

« Dans les dĂ©buts de mon installation, tout ce qui a vu le jour ici a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© Ă  partir de ce que j’avais apportĂ© d’Allemagne ; photos, livres, tableaux inachevĂ©s, de mĂȘme que les matĂ©riaux, notamment le plomb, semĂ© des plants, tracĂ© des enceintes. [..] Et puis un j’ai eu l’idĂ©e des tunnels. Comme il n’y avait plus rien Ă  voir en surface, je suis allĂ© dans les profondeurs, c’était Ă  vrai dire non pas une idĂ©e, mais un rĂ©flexe. »[10]

Le travail effectuĂ© dans Barjac est rĂ©pandu et ajoute des diffĂ©rences conceptuelles et de nouvelles sections Ă  l’atmosphĂšre Ă©lĂ©mentaire qu’il a mise en place, ce qui le conduit finalement Ă  une nouvelle dĂ©finition de « l’Atelier Â» ; une dĂ©finition en dehors des stĂ©rĂ©otypes et des cadres conventionnels. ï»ż

« Un laboratoire, un lieu d’expĂ©rimentation dans lequel s’imaginent d’autres relations d’espace, se rĂ©alisent d’autres voyages spatiaux, d’autres rĂ©versions du temps. [
] Le lieu qu’est l’atelier, aussi ancien que l’humanitĂ©, comme le montre l’archĂ©ologie de la prĂ©histoire, est dĂ©terminĂ© par une circonscription – il dĂ©limite de transformation, une activitĂ© productrice, un changement ou des changements d’état des matiĂšres ou des objet initiaux en objets « transformĂ©s Â». Â»[11]

Ce qui fait de l’atelier de Kiefer un laboratoire est sa perception de l’existence et son mode de vie particuliers. Dans ce laboratoire, il fouille divers Ă©lĂ©ments et s’aide de tout matĂ©riau, de tout outil, afin d’obtenir ce qu’il a Ă  l’esprit. C’est lĂ  que la maniĂšre et l’attitude artistiques de Kiefer s’enchevĂȘtrent Ă  l’endroit oĂč il crĂ©e : l’atelier et tout ce qui est dedans deviennent un archĂ©type, cherchant Ă  communiquer des choses du passĂ© au prĂ©sent, ou bien nous faisant voyager, Kiefer et nous, dans le passĂ©.

Au cours de ces annĂ©es, le Jardin-atelier de Barjac a Ă©tĂ© crĂ©Ă©, Ă©tape par Ă©tape et section par section. AprĂšs avoir traversĂ© toutes ces annĂ©es et la grande quantitĂ© de travail effectuĂ©, l’espace de l’atelier de Barjac est comme une grande exposition : de grandes peintures, des collages d’images diffĂ©rentes, des assemblages, des installations, des instruments d’architecture, des halls, des couloirs conçus de maniĂšre particuliĂšre, des espaces vitrĂ©s et d’énormes tunnels qui ont encore ajoutĂ© aux merveilles de l’espace tous ces dĂ©tails crĂ©Ă© dans un grand jardin et Ă  cĂŽtĂ© de divers Ă©lĂ©ments de la nature, tels que les arbres, les fleurs et diffĂ©rents types de plantes. Kiefer voit le monde de son point de vue, il crĂ©e ses Ɠuvres en fonction de ses intĂ©rĂȘts, de son esprit et de ses capacitĂ©s. DĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre artistique, il a dĂ©montrĂ© sa capacitĂ© Ă  exploiter au mieux le contexte et l’espace de son atelier pour le dĂ©veloppement de son travail. À Barjac, cette capacitĂ© atteint son apogĂ©e et l’espace de travail ou son atelier est tellement imbriquĂ© avec ses Ɠuvres qu’il est difficile de les distinguer les unes des autres. Tous ces dĂ©tails, dĂ©crits dans le commentaire sur Barjac, mĂšnent finalement Ă  la reconnaissance du fait qu’on cherche Ă  donner une image claire de l’atelier de l’artiste. On est confrontĂ© Ă  un environnement de travail, qui est en soi une Ɠuvre d’art contemporain unique.

Les archives des matĂ©riaux dans les ateliers d’Anselm Kiefer. Photo par l’auteur. Exposition d’Anselm Kiefer au Grand Palais, Paris. 2021-2022.

La combinaison des ruines avec la nature de Barjac et d’autres Ă©lĂ©ments installĂ©s au cƓur de ce jardin est Ă©tonnante. Nous contemplons le monde entier, un monde oĂč la nature a Ă©tĂ© le pilier principal depuis le dĂ©but, bien avant l’émergence de toute forme de civilisation et Ă  travers les diffĂ©rentes pĂ©riodes de l’histoire. Maintenant, Kiefer compare Ă  nouveau cette histoire bruyante Ă  son principe fondamental, qui est la nature. Cette comparaison progresse dans le silence du jardin de Barjac. Kiefer a besoin de cette analogie pour faire progresser son travail.

En effet, les ruines de Kiefer, ainsi que les Ă©lĂ©ments installĂ©s dans l’environnement extĂ©rieur de Barjac, Ă  travers l’utilisation d’arbres, de plantes et d’amĂ©nagements paysagers au cƓur de cette nature, acquiĂšrent une identitĂ©. Les structures en bĂ©ton se fondent dans cet environnement, trouvant leur identitĂ© au milieu des arbres et de la nature.

C’est le chemin parcouru par l’homme Ă  travers les siĂšcles jusqu’à nos jours, une forme de dialectique entre l’histoire naturelle et l’histoire humaine. Kiefer fusionne l’histoire avec la nature, et nous observons l’histoire qu’il crĂ©e depuis le cƓur de la nature et du jardin de Barjac. C’est un paysage qui s’étend au-delĂ  de l’espace pictural.

Anselm Kiefer a une unitĂ© de recherche, que chaque peintre peut avoir dans un coin de son atelier, Ă  consulter de temps en temps. Or nous avons un trĂšs large Ă©ventail d’enquĂȘtes Ă  l’Atelier Kiefer : « de livres scientifiques, mĂ©dicaux ou de botanique datant parfois du XVIIe siĂšcle, qu’il a amassĂ©s depuis l’Allemagne reprĂ©sente avant tout pour lui un outil de travail. Source d’inspiration majeure, le livre figure Ă  la fois un temple du savoir, un objet plastique et un symbole culturel. Il reprĂ©sente aussi sa façon Ă  lui, trĂšs particuliĂšre, intime, de crĂ©er. Â»[12] Outre le dĂ©partement de recherche d’Anselm Kiefer oĂč il est possible de trouver de telles choses fascinantes en abondance, une autre partie plus intĂ©ressante de son atelier comprend les archives et les Ă©tagĂšres du matĂ©riau qui ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©es et rassemblĂ©es tout au long de l’espace. Kiefer a effectuĂ© plusieurs tests et analyses dessus, Ă  point d’ĂȘtre parfaitement conscient de leur potentialitĂ© de placement au cours du processus de production. Maintenant, ils sont archivĂ©s et classĂ©s dans ces Ă©normes Ă©tagĂšres pour ĂȘtre utilisĂ©s jour aprĂšs jour lors du processus de travail. Ce sont des archives incroyablement diverses, il est maintenant possible pour le peintre de retourner Ă  la peinture. AprĂšs toutes ces annĂ©es, au-delĂ  de tous les cadres et limites, il peut profiter de tout ce qu’il juge utile au dĂ©veloppement de son travail. 

Le processus de crĂ©ation dans l’atelier-laboratoire de Kiefer exige un grand nombre de diffĂ©rents matĂ©riaux, outils et espaces, et l’énorme taille des Ɠuvres qui atteint parfois des dizaines de mĂštres appellent Ă  l’usage des mĂ©thodes particuliĂšres et Ă  l’engagement des assistants. Pendant ce travail complexe qui prend parfois l’allure d’une recherche, Kiefer devient tantĂŽt un entrepreneur ou un maĂźtre qui dirige un projet. Tout cela a lieu au sein de l’atelier. Des matĂ©riaux divers et variĂ©s y sont transportĂ©s et subissent le processus de crĂ©ation.

« Le peintre d’atelier qu’est Kiefer peint toujours seul, il travaille physiquement en solitaire, sur, dans, Ă  sa toile, une toile qu’il a fait tendre dans l’atelier, dĂ©cidant du format, du chĂąssis. L’atelier produit tout en quelque sorte, il est d’abord le lieu industrieux qui engrange ce qui devient les outils, les matĂ©riaux et les motifs de l’Ɠuvre. L’engrangement, le stockage impliquent un enchevĂȘtrement des temps et des ĂȘtres qui devient une temporalitĂ© Ă  l’Ɠuvre dans les Ɠuvres. »[13]

Lorsqu’on regarde le processus de crĂ©ation et la maniĂšre de travail que Kiefer a choisis Ă  diffĂ©rentes pĂ©riodes, on est sans doute stupĂ©fait par leur immensitĂ© et par le souci de dĂ©tails chez l’artiste. Il choisit minutieusement ce dont il a besoin pendant le processus, il met tout en place pour assurer le meilleur dĂ©roulement du travail et pour mener Ă  terme ses idĂ©es et le dĂ©veloppement de ses concepts souhaitĂ©s. Les tableaux de Kiefer se nourrissent d’autres Ă©lĂ©ments que le pigment :

« Notamment des vĂ©gĂ©taux et des fleurs comme les tournesols, semĂ©s dans l’atelier de Barjac [
] Ă  partir de graines provenant du Japon et qui mesurent sept mĂštres de hauteur … Des milliers de tulipes aussi, dont les pĂ©tales, soigneusement conservĂ©s et sĂ©chĂ©s, ont Ă©tĂ© utilisĂ©s dans les tableaux consacrĂ©s aux poĂštes arabes. Il y eut Ă©galement la paille, [
], le sable, et [
], le plomb, matĂ©riau matriciel de l’Ɠuvre. Â»[14]

Dans de nombreuses Ɠuvres de Kiefer, les premiĂšres choses qui attirent l’attention du public, sont les matĂ©riaux dont l’usage n’est pas trĂšs courant, mais qui sont trĂšs Ă©vidents dans les travaux de Kiefer, qui choisit des matĂ©riaux en fonction de ses idĂ©es. Cela l’aide Ă  dĂ©velopper son idĂ©e dans le processus de son travail ; il n’a aucune limitation. À l’atelier, dĂ©crit comme un grand laboratoire, il est toujours impliquĂ© dans des tests de nouveaux matĂ©riaux, afin qu’il puisse les utiliser dans le cƓur de son processus de travail. De cette maniĂšre, Kiefer ne cesse d’accroĂźtre sa connaissance afin non seulement que ces matĂ©riaux puissent jouer un rĂŽle dans les Ă©lĂ©ments visuels de son travail, mais aussi que partout oĂč il serait nĂ©cessaire de recourir Ă  des significations mĂ©taphoriques, historiques, etc., il ait Ă  sa disposition un matĂ©riau convenable.

Le Dormeur du val, 2013-2015, huile, acrylique, Ă©mulsion sur toile. Photo par l’auteur. Exposition d’Anselm Kiefer au Centre Pompidou, Paris. 2015-2016

Dans le Barjac, la nature vient Ă  l’aide de structures, de tunnels et de bĂątiments et bien sĂ»r aux peintures de Kiefer, afin qu’il puisse prĂ©senter ses visions de l’histoire et ses poĂ©sies pour la terre Ă  l’aide des Ă©lĂ©ments de cette nature mieux que nulle part ailleurs. 

SĂ©chage des fleurs dans l’atelier de Barjac de Anselm Kiefer, Prises du livre COHN, DaniĂšle. 2012. Anselm Kiefer : Ateliers. Éditions du Regard, 48

Kiefer a cherchĂ© Ă  prendre soin de la nature au cƓur de Barjac pendant ces annĂ©es-lĂ , en y ajoutant de nouvelles sections et en plantant diffĂ©rents types de plantes et de fleurs en fonction de sa subjectivitĂ© mĂ©taphorique, crĂ©ant ainsi un cycle.

Le cycle que Kiefer a crĂ©Ă© Ă  Barjac consiste Ă  entretenir la nature et les Ă©lĂ©ments naturels de ce jardin. Lorsque le cycle naturel de ces Ă©lĂ©ments se termine, il les intĂšgre dans ses Ɠuvres, dans ses peintures et ses installations. Les fleurs sĂšchent…, les tournesols terminent leur cycle de vie…, les feuilles de diffĂ©rentes plantes tombent au sol… mais ce n’est pas la fin du travail. Il s’agit plutĂŽt d’un nouveau dĂ©part, d’un commencement Ă  crĂ©er deux fois, Ă  crĂ©er au cƓur des Ɠuvres de Kiefer.

Archives de fleurs dans les ateliers d’Anselm Kiefer. Photo par l’auteur. Exposition d’Anselm Kiefer au Grand Palais, Paris. 2021-2022

Ici, Ă  l’aide de ses rĂ©flexions thĂ©oriques, Kiefer fait de ces plantes des signes dans ses Ɠuvres, Ă  partir de l’essence de la nature, il crĂ©e une ligne de transition entre la peinture, la littĂ©rature, l’histoire, la philosophie et bien sĂ»r la terre. Ils sont soignĂ©s par des rĂ©sines et des couleurs au cƓur des Ɠuvres pour qu’elles durent Ă©ternellement. Que les tournesols soient placĂ©s sur une toile ou dans une installation, ils sont une essence du jardin de Barjac dans les Ɠuvres de Kiefer, qui ont trouvĂ© dans son travail une signification mĂ©taphorique.

Les fleurs sĂ©chĂ©es du jardin Barjac ont aussi une telle histoire, soit elles sont placĂ©es au cƓur des Ɠuvres sous les couleurs et rĂ©sines, soit elles sont devenues des Ă©lĂ©ments inspirants dans les peintures de paysage de Kiefer.

En tant que peintre, quand je regarde Kiefer allant s’installer Ă  Barjac et commençant Ă  construire cet Ă©norme projet, l’une des premiĂšres et des plus fascinantes des choses qui me viennent Ă  l’esprit est que, Ă©tape par Ă©tape, avec l’avĂšnement de Barjac, il a crĂ©Ă© une magnifique possibilitĂ© qui peut se trouver au cƓur de son atelier et du lieu de crĂ©ation de ses Ɠuvres, pour prĂ©senter la meilleure idĂ©e, le plus dĂ©licatement possible, sans aucune limitation. C’est sĂ»rement la maniĂšre de prĂ©sentation idĂ©ale de l’artiste.

« Mais chez Kiefer rĂ©sident la force de l’acceptation et l’espoir que « quelque chose » d’autre advienne par pĂ©trification mĂȘme de l’Ɠuvre. C’est en ce sens qu’il accepte – avec tous, les risques qu’une attitude aussi radicale comporte – qu’une fois mise en scĂšne sur les cimaises de la galerie, au mur du musĂ©e ou du collectionneur, l’Ɠuvre ne lui appartienne plus, ne soit plus sienne. »[15]

Lorsqu’on regarde Barjac dans des films ou des photos qui nous sont disponibles, on trouve la disposition des Ɠuvres de Kiefer dans cet espace et on les compare avec celles d’entre elles qui sont exposĂ©es en dehors de cet espace, mĂȘme dans la maniĂšre de prĂ©sentation la plus idĂ©ale. Prenons l’exemple de l’exposition d’Anselm Kiefer au Grand Palais de Paris en 2007 et en 2021-2022. On constate que la prĂ©sentation des Ɠuvres de Kiefer dans son atelier de Barjac est beaucoup plus spectaculaire que leur prĂ©sentation ailleurs. Les deux facteurs qui contribuent Ă  cela sont la libertĂ© totale de Kiefer dans cet environnement et le dynamisme de l’espace et la modification des Ɠuvres et des autres Ă©lĂ©ments composants.

Utilisation de fleurs et d’herbes sĂ©chĂ©es dans les Ɠuvres de Kiefer. Prises du livre BOUHOURS, Jean-Michel (ed.). 2015. Anselm Kiefer. Éditions Centre Pompidou, 89

Les ruines des tours en bĂ©ton de Barjac murmurent la grande histoire Ă  nos oreilles lorsqu’elles s’élĂšvent Ă  travers les arbres, non pas lorsque leur reprĂ©sentation devient plus vivante pour le public dans la galerie du Grand Palais de Paris sous la lumiĂšre artificielle.

Lorsque vous observez la disposition des Ă©lĂ©ments, par exemple les installations « Die Frauen der Antike », dans l’espace de Barjac et que vous la comparez Ă  la disposition des mĂȘmes Ă©lĂ©ments dans l’espace d’exposition, vous pouvez comprendre l’importance de la nature de Barjac pour Kiefer. La dialectique prĂ©dominante entre ces Ă©lĂ©ments et la nature de Barjac confĂšre une nouvelle dimension Ă  l’Ɠuvre de Kiefer.

La visualisation de l’interaction humaine avec la nature est imaginĂ©e dans cet espace depuis le dĂ©but de l’histoire humaine jusqu’à aujourd’hui. La nature, telle une mĂšre, a abritĂ© en elle ces Ɠuvres, ce qui constitue la forme la plus allĂ©gorique de la dialectique prĂ©dominante entre la nature de Barjac et le travail de Kiefer.

En rĂ©alitĂ©, le sens de ces Ă©lĂ©ments rĂ©side au cƓur de cette nature, qui se dĂ©ploie de la meilleure maniĂšre possible dans l’espace et imprĂšgne l’existence. MĂȘme dans les moments les plus dĂ©favorables, la nature demeure un refuge et une ressource qui donne un nouveau souffle Ă  la vie.

L’espace extĂ©rieur de l’atelier de Barjac d’Anselm Kiefer. Prises du livre BOUHOURS, Jean-Michel (ed.). 2015. Anselm Kiefer. Éditions Centre Pompidou, 261

Les paysages de Kiefer murmurent incessamment. Ce sont des gĂ©missements qui viennent du nĂ©ant, des ruines. Bien qu’ayant une structure bien dĂ©finie et classique, ils nous offrent des qualitĂ©s visuelles inĂ©dites.  

« La peinture d’Anselm Kiefer, comme ses sculptures, rĂ©sulte d’une collecte, Ă  l’extĂ©rieur du tableau, de ses Ă©lĂ©ments, traces, piĂšces, objets, plans, cartes, livres, containers. La dĂ©limitation qu’induit la circonscription du lieu fonde l’articulation dedans-dehors. Dans l’atelier, le monde est engrangĂ©, l’atelier se fait rĂ©ceptacle. Il ne s’oppose pas au plein air, dans une polaritĂ© dedans/dehors, du moins pas dans l’acception traditionnelle de cette opposition. Il en va d’en atelier-monde, et probablement d’un monde-atelier. Â»[16]

Le terme « atelier-monde » dĂ©crit parfaitement l’atelier de Kiefer. C’est un endroit dont l’immensitĂ© nous captive, se nous impose ; il n’est pas pareil aux ateliers artistiques ni aux galeries ou musĂ©es. Visiter les ateliers de Kiefer, c’est rencontrer un univers de crĂ©ateur: l’univers de Kiefer.


Les espaces intĂ©reurs et extĂ©rieures les espaces vitrĂ©s de l’atelier de Barjac d’Anselm Kiefer. Prises du livre COHN, DaniĂšle. 2012. Anselm Kiefer : Ateliers. Éditions du Regard, 55, 110


Outre d’immenses hangars, tunnels et ateliers, on voit Ă  Barjac des espaces vitrĂ©s, qui ont donnĂ© un nouveau visage Ă  cet espace dans le prolongement du jardin de Barjac. Certaines de ces espaces vitrĂ©s sont des espaces permettant de cultiver diffĂ©rents types de plantes et de fleurs. Mais certaines de ces espaces vitrĂ©s sont comme des galeries oĂč sont disposĂ©es certaines Ɠuvres de Kiefer, la continuitĂ© de l’espace et du temps vient des plantes et des arbres et de la nature de Barjac jusqu’à l’intĂ©rieure de ces espaces vitrĂ©s. 

Lorsque vous observez le travail de Kiefer Ă  l’intĂ©rieur de ces espaces vitrĂ©s, une transition temporelle se crĂ©e… Vous regardez un tableau de paysage ou une installation, mais dans sa continuation vous voyez un paysage derriĂšre la vitre, un paysage dans lequel sont placĂ©es certaines des mĂȘmes Ɠuvres crĂ©Ă©es par Kiefer. Le paysage de jardin de Barjac. Ici, le problĂšme interne externe disparaĂźt et ces espaces vitrĂ©s deviennent un reflet particulier de la pensĂ©e de Kiefer dans la forme la plus idĂ©ale de prĂ©sentation des Ɠuvres.

Les Ɠuvres sont exposĂ©es dans un lieu spĂ©cifique qui fait Ă©galement partie du jardin de Barjac. Elles reprĂ©sentent une extension de cette nature, crĂ©ant ainsi un lieu aventureux pour explorer l’extraordinaire histoire du parcours artistique de Kiefer.

Le travail effectuĂ© par Kiefer au cours de ces annĂ©es Ă  Barjac lui a permis de dĂ©velopper de nouvelles sĂ©ries, Ă  la fois en termes des vastes ressources matĂ©rielles mentionnĂ©es ci-dessus, et en ce qui concerne les idĂ©es et les concepts issues du cƓur de la grande quantitĂ© de travail dans Barjac. Kiefer choisit Ă©galement un chemin au cƓur de l’histoire et de la tradition de la peinture qui, en plus de lui fournir d’énormes sources d’inspiration, fournit une plateforme Ă  son travail, grĂące Ă  laquelle il peut Ă©tablir une dialectique solide entre la qualitĂ© de son espace pictural, les concepts qu’il cherche Ă  explorer, ainsi que d’autres mĂ©diums artistiques.

Dans le Barjac, Kiefer tente de donner un nouveau visage Ă  son exploration au cƓur de la nature. Il crĂ©e un monde multiforme en Ă©tablissant des liens entre diffĂ©rents mĂ©diums artistiques, de la peinture aux installations et immenses structures architecturales, et en crĂ©ant un lien entre l’intĂ©rieur de son atelier et les Ă©lĂ©ments naturels du jardin de Barjac. En tant que peintre de paysage, Kiefer a essayĂ©, dans Barjac et dans son interaction avec la nature de Barjac, d’analyser au mieux la tension critique prĂ©sente dans ses Ɠuvres lors de leur interaction avec la nature de Barjac.

Conclusion

Les ateliers de Kiefer ressemblent plus Ă  des laboratoires oĂč il se lance dans des essais et erreurs et expĂ©rimente avec divers matĂ©riaux. Dans ce laboratoire, il fouille divers Ă©lĂ©ments et s’aide de tout matĂ©riau, de tout outil, afin d’obtenir ce qu’il a Ă  l’esprit. C’est lĂ  que la maniĂšre et l’attitude artistiques de Kiefer s’enchevĂȘtrent Ă  l’endroit oĂč il crĂ©e : l’atelier et tout ce qui est dedans deviennent un archĂ©type, cherchant Ă  communiquer des choses du passĂ© au prĂ©sent, ou bien nous faisant voyager, Kiefer et nous, dans le passĂ©.

Barjac est le point oĂč un peintre contemporain dĂ©cide de dĂ©velopper ses prĂ©occupations en dehors de l’espace pictural. À Barjac, nous pouvons explorer le monde de Kiefer, le mĂȘme monde qu’il explore dans ses peintures, cette fois Ă  travers une variĂ©tĂ© de formes artistiques au cƓur de la nature.

Si nous voulons exprimer la fonction du jardin de Barjac pour Kiefer de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le jardin qui abrite l’atelier de Kiefer, deux approches gĂ©nĂ©rales peuvent ĂȘtre envisagĂ©es. Tout d’abord, ce jardin reprĂ©sente une allĂ©gorie de la terre dans laquelle Kiefer peut construire son propre univers. Cet univers a Ă©tĂ© façonnĂ© par ses Ɠuvres dans diffĂ©rents mĂ©diums artistiques, qui sont disposĂ©es dans divers coins du jardin, des salles et tunnels aux serres et Ă  l’espace principal du jardin, parmi les arbres de Barjac.

Une autre fonction que la nature du jardin de Barjac a pour Kiefer, Ă©tant donnĂ© que son principal domaine de travail est la peinture de paysages et que l’utilisation d’Ă©lĂ©ments naturels joue un rĂŽle important dans son processus de crĂ©ation, est que les Ă©lĂ©ments naturels du jardin de Barjac deviennent les matĂ©riaux et les ressources que Kiefer utilise dans ses Ɠuvres. Ces matĂ©riaux naturels, tant en termes de forme que de contenu, ont grandement contribuĂ© Ă  faire progresser et Ă©voluer le travail de Kiefer au fil des annĂ©es.

Au cours de ces annĂ©es, le Jardin-atelier de Barjac a Ă©tĂ© crĂ©Ă©, Ă©tape par Ă©tape et section par section. AprĂšs avoir traversĂ© toutes ces annĂ©es et la grande quantitĂ© de travail effectuĂ©, l’espace de l’atelier de Barjac est comme une grande exposition : de grandes peintures, des collages d’images diffĂ©rentes, des assemblages, des installations, des instruments d’architecture, des halls, des couloirs conçus de maniĂšre particuliĂšre, des espaces vitrĂ©s et d’énormes tunnels qui ont encore ajoutĂ© aux merveilles de l’espace tous ces dĂ©tails crĂ©Ă© dans un grand jardin et Ă  cĂŽtĂ© de divers Ă©lĂ©ments de la nature, tels que les arbres, les fleurs et diffĂ©rents types de plantes. À Barjac, la nature tente de donner un nouveau visage Ă  l’exploration d’un artiste curieux qui cherche Ă  porter un regard critique sur la condition humaine. En tant que peintre de paysage, Kiefer a essayĂ©, dans Barjac et dans son interaction avec la nature de Barjac, d’analyser au mieux la tension critique prĂ©sente dans ses Ɠuvres lors de leur interaction avec la nature de Barjac.

La nature, telle une mĂšre, a abritĂ© en elle ces Ɠuvres, ce qui constitue la forme la plus allĂ©gorique de la dialectique prĂ©dominante entre la nature de Barjac et le travail de Kiefer. Et dans telle ambiance est que ses Ɠuvres nous noient dans les murmures de la terre.


Bibliographie

ARASSE, Daniel. 2007. Anselm Kiefer. Éditions du Regard.

ALVAREZ, JosĂ©. 2007. Anselm Kiefer au Grand Palais : Sternenfall. Éditions du Regard.

BAQUÉ, Dominique. 2015. Anselm Kiefer ; Entre mythe et concept relief. Regard.

BERNADAC, Marie-Laure. 2007. Extrait du catalogue Anselm Kiefer au Louvre. Éditions MusĂ©e du Louvre.

BOUHOURS, Jean-Michel(ed.). 2015. Anselm Kiefer. Éditions Centre Pompidou.

COHN, Daniùle. 2012. Anselm Kiefer : Ateliers. Éditions du Regard.

COHN, DaniĂšle. LAUTERWEIN, AndrĂ©a. ALVAREZ, JosĂ©. 2007. Anselm Kiefer au Grand Palais : Sternenfall = Chute d’étoiles, Monumenta. Éditions du Regard.

HUYSSEN, Andreas. 2011. La hantise de l’oubli (essais sur les rĂ©surgences du passĂ©). Kime.

KIEFER, Anselm (au collùge de France). 2011. L’Art survivra à ses Ruines. Regard.

LAUTERWEIN, Andréa. 2015. Anselm Kiefer et la poésie de Paul Celan. Regard.

MATTIUSSI, Véronique. 2017. Kiefer-Rodin : Cathédrales. Gallimard.

MINSSIEUX-CHAMONARD, Marie. 2015. Anselm Kiefer, L’alchimie du livre. Bnf.


[1] MATTIUSSI, Véronique. 2017. Kiefer-Rodin : Cathédrales. Gallimard, 75

[2] BAQUÉ, Dominique. 2015. Anselm Kiefer ; Entre mythe et concept relief. Regard, 50

[3] BOUHOURS, Jean-Michel(ed.). 2015. Anselm Kiefer. Éditions Centre Pompidou, 140

[4] COHN, DaniĂšle. 2012.  Anselm Kiefer : Ateliers. Éditions du Regard, 13

[5] En interviewant Heinz Peter Schwerfel, il parle des raisons de son dĂ©part d’Allemagne :

Je n’ai pas quittĂ© l’Allemagne pour des raisons politiques ou stratĂ©giques, mais plutĂŽt pour des raisons personnelles. [
] J’avais [
] besoin d’un changement pour mon Ɠuvre et il est plus facile de changer en partant. Nous ne parlions peinture que comme Ă©tude des matĂ©riaux. Quand on a fait ça pendant des annĂ©es, on acquiert une certaine aisance dans le traitement du matĂ©riau et je voulais m’en dĂ©barrasser. Je voulais m’exposer au matĂ©riau d’une maniĂšre nouvelle, repartir Ă  zĂ©ro comme si je ne savais rien. Durant cette pĂ©riode, je n’ai plus peint pendant deux ou trois ans. Je me suis contentĂ© de beaucoup voyager, du Mexique Ă  l’Égypte. (KIEFER, Anselm (au collĂšge de France). 2011. L’Art survivra Ă  ses Ruines. Regard, 165)

[6] BAQUÉ, Dominique. 2015. Anselm Kiefer ; Entre mythe et concept relief. Regard, 26

[7] BAQUÉ, Dominique. 2015. Anselm Kiefer ; Entre mythe et concept relief. Regard, 29

[8] BAQUÉ, Dominique. 2015. Anselm Kiefer ; Entre mythe et concept relief. Regard, 26

[9] MATTIUSSI, Véronique. 2017. Kiefer-Rodin : Cathédrales. Gallimard, 54

[10] BAQUÉ, Dominique. 2015. Anselm Kiefer ; Entre mythe et concept relief. Regard, 26

[11] COHN, DaniĂšle. 2012. Anselm Kiefer : Ateliers : Barjac, un atelier dans la nature, 16

[12] MINSSIEUX-CHAMONARD, Marie. 2015. Anselm Kiefer, L’alchimie du livre. Bnf, 22

[13] COHN, Daniùle. 2012. Anselm Kiefer : Ateliers. Éditions du Regard, 16, 17

[14] BAQUÉ, Dominique. 2015. Anselm Kiefer ; Entre mythe et concept relief. Regard, 25

[15] BAQUÉ, Dominique. 2015. Anselm Kiefer ; Entre mythe et concept relief. Regard, 25

[16] COHN, DaniĂšle. 2012. Anselm Kiefer : Ateliers.  Éditions du Regard, 17


Mehdi Sharafi is an artist-painter and researcher based in Paris. He holds a doctorate in visual arts from the University of Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, and is a member of the Maison des Artistes de France. His area of expertise centers on pictorial space and painting. Over the course of two decades in his artistic career, he has developed numerous series that demonstrate a diverse range of approaches. In the realm of research, his work has underscored the dynamics of pictorial space in the contemporary era, with a particular focus on the connection between this medium and the challenges and concerns of contemporary humans. Currently, he is an artist-researcher at the 6B art center in Paris area. His efforts are dedicated to addressing forthcoming crises, particularly those concerning the relationship between humanity and nature within both the theoretical and practical domains of art. He is trying to explore how contemporary humans engage with their surroundings through the lens of his artistic specialization.